L’analyse systémique des places

L’analyse systémique met avant les éléments essentiels qui constituent le fonctionnement de la place ainsi que les relations entre ces éléments. Tous cela afin d’avoir une compréhension globale du fonctionnement de la place en tant que système. L’analyse systémique passe par la réalisation d’un modèle de système. Dans notre démarche méthodologique, comme dans les exemples d’applications aux cinq places de la ville de Nice, nous avons opté pour une modélisation conceptuelle par diagramme sagittal, modélisation particulièrement adaptée à l’appréhension qualitative du fonctionnement d’un système spatial complexe comme la place.

Délimitation et entitisation du système place

Chaque place est différente et dispose de son propre fonctionnement (à ne pas confondre avec ses « fonctions », c'est-à-dire les activités humaines localisées sur la place et constituant seulement un volet de l’analyse). Dans ce qui suit nous proposons néanmoins des grandes lignes guide pour la délimitation du système place au fins d’une analyse géographique et urbanistique.

En ce qui concerne la délimitation spatiale, le système place est constitué a minimapar l’espace public de la place et par les bâtiments qui la bordent. D’autres éléments, appartenant au  quartier ou aux quartiers qui entourent la place, ainsi qu’à l’ensemble de la ville dans laquelle elle se situe, constituent (de façon variable selon le type de place) des éléments de l’environnement de la place, qui devront être intégrées dans une modélisation systémique de la place. Les éléments de la place sont ainsi influencés par ces éléments externes et peuvent à leur tour agir sur eux, sans pour autant être capables de les expliquer entièrement.

En ce qui concerne la délimitation thématique de notre modèle de système, nous proposons de prendre en compte les six grandes thématiques suivantes, auxquelles nous avons déjà dédié un module spécifique (fonctions, usages et appropriations de la place ont été traités de façon conjointe dans le module sur les fonctions).

-       Le contexte historique de la place

-       Le contexte urbain apprécié à différentes échelles

-       La composition urbaine de la place

-       Les fonctions abritées par la place et ses abords

-       Les usages et les appropriations de la place

-       La perception de la place

Les contextes historique et urbain constituent précisément l’environnement systémique de la place (en matière de décisions de politique urbaine, d’objets géographiques interagissant avec la place à d’autres échelles, etc.) devant être pris en compte dans le modèle du système place.  Cette décomposition en six grandes thématiques est le point de départ de l’entitisationdu système place. Il convient de déterminer au sein de chacune d’entre elles quelles sont les variables essentielles pour saisir le fonctionnement de la place. La première étape consiste ainsi à sélectionner les éléments clé, regroupés au sein des plus vastes thématiques. Les éléments clés relevant de chaque thématique ne seront pas les mêmes pour chaque place. Ce qui est fondamental pour une place ancienne de centre-ville pouvant être très secondaire pour une place moderne au sein du nouveau quartier des affaires, et vice-versa.

 

   

Figure 6.1 :

Le système place

 

 

Pour parvenir à un modèle suffisamment détaillé du fonctionnement de la place, mais encore suffisamment lisible dans un but de communication, nous limiterons la description du système place à 25-30 éléments environs, dont 5-10 éléments pour appréhender l’environnement de la place et une vingtaine d’éléments pour appréhender les composantes propres à la place. Les éléments du système doivent-être caractérisés. Dans le cadre des modèles produits pour les cinq places niçoises un effort a été ainsi fait pour qualifier l’état des éléments clés retenus. L’élément « traitement de espaces publics » au sein de la composition urbaine de la place sera ainsi tantôt représenté par «  mobilier urbain et revêtement de qualité », tantôt par « absence de mobilier et surface goudronnée ». Certains éléments généraux présentent des telles spécificités au sein d’une place donnée, qu’ils nécessitent deux ou trois éléments plus spécifiques. La distribution spatio-temporelle des fonctions et des usages pourrait ainsi se décliner dans deux ou trois éléments bien caractérisées : « concentration de commerces de bouches sur le côté nord de la place », « présence d’activités administratives attractives à l’échelle de toute la ville sur le côté sud de la place » et encore « forte fréquentation de la place et de ses commerces pendant les jours ouvrés mais faible fréquentation en week-end ».

 

   

Figure 6.2 :

Mises en relation d'éléments choisis. 

 

 

La seconde étape de la modélisation systémique consiste à mettre en relations les éléments choisis. Dans notre approche modélisatrice nous avons choisi de donner un caractère causal aux relations  choisies. Les relations doivent ainsi permettre d’expliquer le fonctionnement des phénomènes observés (éléments caractérisés). La convergence des nombreuses rues vers la place  peut ainsi avoir pour conséquence une perception de la place en tant que nœud au sein de l’espace urbain. À cette relation causale de type « positif » (un phénomène en entraine un autre) s’opposent des relations causales de type « négatif » (un phénomène en freine un autre). Les relations de causalité ainsi décrites ont toujours une valeur relativement floue : entre les phénomènes observés dans le système place on a rarement à faire à de la causalité strictement déterministe. De façon générale un phénomène influence positivement, entrainent ou  freine,  limite, entrave un autre. Rarement aussi les éléments se lient entre eux de façon simple. Bien plus souvent c’est le concours de l’influence (positive ou négative) de nombreux autres éléments qui peut expliquer un phénomène observé, qu’il s’agisse de la faible fréquentation d’une place ou de sa perception positive de la part des usagers. Bien évidemment, dans une démarche modélisatrice qui est toujours simplificatrice, il faut éviter de démultiplier les relations entre les éléments, en se focalisant sur les seules relations essentielles, et en évitant surtout de rajouter des relations directes quand l’influence d’un élément sur l’autre est déjà traduite par l’action d’un élément intermédiaire. Des interactions directes ou indirectes peuvent souvent caractériser le fonctionnement systémique de la place.

Les relations à retenir dans le modèle sont clairement spécifiques à chaque place tout comme leur nature. Cette étape doit ainsi être la résultante des analyses plus spécifiques effectuées au cours des cinq premiers modules. Les inter-relations étaient souvent implicites dans les modules précédents. Mises à système elles permettent d’expliquer un état ou une caractéristiques de la place : par exemple l’attractivité commerciale de la place peut résulter de la qualité architecturale de la place, se traduisant par une forte fréquentation touristique et de sa bonne accessibilité en voiture. En même temps, la dégradation du cadre bâti engendré par la pollution automobile et la banalisation de l’espace public produite par le stationnement automobile, freinent la fréquentation touristique et, par là même, l’attractivité commerciale de la place. La vision d’ensemble du système apporte une part d’explication au fonctionnement de la place.

La représentation graphique du modèle conceptuel

Le modèle conceptuel du système place nécessite une représentation graphique relativement simple. Des rectangles de texte représentent les phénomènes observés sur la place (éléments évalués). Ils sont regroupés en grandes thématiques (contexte historique, contexte urbain, composition urbaine, …) selon un code couleur. La complexité souvent rencontrée dans la thématique fonctions/usages/appropriations nous a induit à la dédoubler en deux codes couleurs distincts, l’un pour les éléments décrivant les fonctions, l’autre pour les éléments ciblant les usages et les appropriations. Des flèches représentent à leur tour les relations entre phénomènes. Elles utilisent deux styles différents, différenciant les relations positives (produit, permet, entraîne) des relations négatives (freine, remet en cause, limite).

Une fois les variables choisies et les inter-relations effectuées, il est nécessaire de rendre lisible le système : éviter que des flèches traversent les variables, éviter un trop grand nombre de flèches. La représentation graphique du modèle conceptuel est une phase à part entière du processus de modélisation. Elle permet de revenir sur le choix des éléments et des relations clés, car leur visualisation permet de mettre en évidence tant les redondances que les manques du modèle. Conceptualisation et représentation graphique nécessitent ainsi de nombreux allers-retours avant de parvenir  à un résultat acceptable.

   

Figure 6.3 : 

Exemple de système explicatif

 

 

Les applications aux cinq places niçoises permettent un premier retour d’expérience sur l’approche modélisatrice proposée. La comparaison des cinq modèles graphiques produits pour les places niçoises nous confirme que, même à l’intérieur d’une ville donnée, il n’existe pas de système type. Cependant, certains éléments sont récurrents dans le fonctionnement d’une place et apparaissent d’une façon ou d’une autre : l’imagibilité, l’attractivité pour les flux d’usagers, l’accessibilité, la forme et les dimensions de la place, le mobilier urbain, le caractère de place nœud ou de place noyau (selon le vocabulaire de K. Lynch), l’éventuelle convergence des rues, le rapport avec le(s) quartier(s), quelques éléments du contexte historique (avec une forte différence des éléments retenus d’une place à l’autre, au-delà des choix urbanistiques ayant porté à la création de la place), la présence de bâtiments ou fonctions symboliques, la présence/absence de mixité fonctionnelle autour de la place, le dynamisme des activités (attractivité et viabilité économique), l’équilibre/déséquilibre entre espace public, semi-public et privé, la variation temporelle de l’activité et des fréquentations au sein de la place, l’impact des activités sur la perception de la place…. Parfois les relations avec d’autres espaces publics à proximité jouent également un rôle dans le fonctionnement de la place.

Finalement le lien entre imagibilité, fréquentation et attractivité de la place semble essentiel pour toutes les places. Cette relation n’est pas fermée. Elle se nourrit autant d’éléments internes au système place (en termes de composition urbaine, de fonctions abrités, d’appropriations) autant d’éléments qui lui sont externes (contexte historique et urbain). Les places plus récentes de l’urbanisme de dalle sont ainsi souvent handicapées par des erreurs de conception urbanistique des quartiers qui l’entourent, au delà des qualités ou des manques internes à la place.

De façon générale l’analyse systémique permise par le diagramme sagittal donne une grille de lecture pour appréhender le fonctionnement de la place. Le modèle proposé constitue clairement une simplification du système place. Cependant, les interactions multiples entre les éléments afférant aux différentes thématiques permettent d’apporter des explications qui ne sont pas mécaniques et simplistes sur le fonctionnement du système. Bien souvent le fonctionnement du système pourrait même être qualifié de dysfonctionnement, tant il devient problématique pour la réalisation des objectifs urbanistiques et socio-économiques assignés à l’espace public de la place. L’analyse systémique devient ainsi une phase préalable à l’établissement d’un diagnostic complet, introduisant la notion d’évaluation et produisant des préconisations pour l’aménagement de la place.