Essentiel méthodologique : Le diagnostic territorial

Diagnostic est un terme emprunté à la science médicale, où il désigne les analyses et les raisonnements visant à identifier les causes de la maladie d’un corps, à partir des symptômes observés. Effectuer un diagnostic sur un territoire, présuppose ainsi une analogie entre ce dernier et un corps malade, chose qui pourrait apparaître bien étrange et qui n’a pas toujours caractérisée les démarches d’urbanisme et d’aménagement urbain. On ne cofondera ainsi pas le diagnostic territorial, dans sa conception actuelle, avec les études préalables qui ont toujours fondé les documents et les projets d’aménagement. Les démarches d’aménagement des Trente Glorieuses prévoyaient ainsi classiquement une analyse des besoins du territoire, en vue de son développement futur (économique, démographique, urbanistique) pour pouvoir justifier des choix d’aménagement retenues (création d’un équipement, calibration d’un réseau, urbanisation d’espace agricoles, etc.). Mais cette démarche de prévision des besoins n’intégrait pas nécessairement l’analogie d’un territoire avec un corps malade à ausculter. Par ailleurs, la période était caractérisée (au moins en France) par une vision très centraliste de l’aménagement urbain et (cela de façon plus générale en France comme ailleurs) par la croyance dans des schémas universels de développement urbains applicables partout. Le Corbusier avait ainsi pu présenter à-peu-près le même plan de développement urbains pour les villes de Paris, d’Alger, de Montevideo, etc.

La décentralisation des démarches d’urbanisme tout comme l’approche du développement durable, ont donnée une nouvelle importance à la prise en compte des spécificités locales pour bâtir les projets d’aménagement et d’urbanisme. Le constat est à des tendances non-durables de la part de la nouvelle urbanisation spontanée ou planifiée au cours des décennies précédentes : consommation excessive de sols agricoles et naturels, pollutions des milieux naturels, dépendance automobile, nouvelles ségrégations socio-spatiales, crise des centralités traditionnelles et de leurs espaces publics, manque d’urbanité des nouvelles périphéries, banalisation des paysages, etc. Ces symptômes peuvent varier d’une ville à l’autre et marquer différemment les différents sous-espaces qui les composent, mais permettent à plein titre d’employer l’analogie avec le corps malade. L’urbaniste se doit maintenant de comprendre les dysfonctionnements du territoire pour pouvoir établir au cas par cas les objectifs d’actions d’aménagement qui deviennent de plus en plus concertées et participatives, dan un souci de cohérence entre plusieurs objectifs (économiques, urbanistiques, sociaux, environnementaux). La recherche de synergies entre ces objectifs, la résolution d’éventuels conflits d’usage (impliquant souvent la négociation et la compensation), l’attention au fonctionnement global de la ville, aux irréversibilités et aux interactions, nécessitent une démarche complexe de diagnostic territorial basé sur une vision systémique de l’espace urbain. Pour la rédaction d’un plan local d’urbanisme ou d’un schéma de cohérence territoriale, tout comme pour les démarches de l’urbanisme opérationnel, le diagnostic territorial devient ainsi une phase indispensable (et, par ailleurs, une obligation de loi), nécessaire à la recherche de solutions partagées par les acteurs du territoire et capables de répondre à des objectifs multiples et inter-reliés.

Le fonctionnement des espaces urbains qui tend à se complexifier et la volonté des décideurs de mettre en place des projets urbains adaptés aux spécificités locales ont accentué le besoin d’établir des diagnostics territoriaux afin de connaitre le territoire et de prendre les décisions adéquates en ce qui concerne les préconisations de son aménagement. Les diagnostics sont désormais des éléments obligatoires imposés par les lois. Ils se retrouvent dans de nombreux documents d’urbanisme : SCOT, DTA… mais aussi à des échelles plus fines comme au niveau des projets urbains. Désormais, chaque aménagement doit établir un diagnostic préalable qui doit prendre en compte les thèmes prédominants du territoire.

Par rapport à ces considérations, il semble inapproprié de réduire un diagnostic territorial à un simple état des lieux qui recense et quantifie, sur un territoire déterminé, les éléments qui le composent. Cette approche énumérative du diagnostic territorial, compilant l’un après l’autre des états de la démographie, du logement, des transports, des activités économiques, des espaces agricoles, de l’air, de l’eau, etc., tout en essayant de souligner les problèmes qui émergent pour chaque thématique abordée, produit une vision fragmentée incapable de donner une explication aux phénomènes observés. La prise en compte de l’évolution des phénomènes dans le temps, de leur agencement dans l’espace, de leurs interrelations causales multiples et leur évaluation par rapport à un fonctionnement global du système territorial étudié, nous semblent des éléments nécessaires à toute démarche de diagnostic territorial.

La compréhension du fonctionnement du système territorial (au moins dans ses grandes lignes) permet alors d’évaluer les dynamiques observées et d’apprécier les évolutions futures. Le diagnostic se fait ainsi prospectif ouvrant de ce fait sur le projet d’aménagement futur. Normalement les évaluations du diagnostic s’organisent en quatre grandes sections (approche AFOM) :

Les Atouts : En évaluant les dynamiques présentes et passées du territoire par rapport au fonctionnement général du système et à sa capacité à atteindre les objectifs politique formulés sur son périmètre, on peut mettre en évidence les points de force, les atouts d’un territoire. Ceux-ci peuvent-être de plusieurs ordres : économiques, sociaux, environnementaux, architecturaux… la présence/absence de certaines ressources/problèmes sont souvent évoqués comme étant des atouts pour le territoire. En termes de spatialité, l’atout peut à tour de rôle concerner la concentration d’un certain phénomène dans un espace bien délimité ou bien sa présence capillaire sur le territoire et sa mixité par rapport à d’autres phénomènes.

Les Faiblesses : L’évaluation des dynamiques présentes et passées peut également conduire à mettre en exergue des faiblesses du territoire, se traduisant souvent en dysfonctionnements par rapport aux fonctionnements systémiques souhaités. Les points faibles peuvent également renvoyer à des configurations spatiales particulières de phénomènes (déséquilibres territoriaux, spécialisations exacerbées, ségrégation socio-spatiale, conflits d’usage, etc.).

Les Opportunités : En portant le regard vers les évolutions possibles futures du territoire, on peut mettre en évidence des éléments susceptibles de devenir des atouts futurs pour le territoire. Les opportunités ne sont pas nécessairement les points forts d’aujourd’hui. Dans une approche volontariste de mobilisation des ressources du territoire, le diagnostic cherche surtout à identifier les points faibles et qui recèlent un fort potentiel d’amélioration, susceptibles de devenir des véritables opportunités pour le futur. L’existence d’une friche industrielle, constituant aujourd’hui un point faible du territoire, peut être en même temps évaluée comme étant une grande opportunité de développement futur.

Les Menaces : La même vision prospective doit identifier ce qui dans les dynamiques actuelles risque à terme de poser problème pour le territoire. Opportunités et menaces peuvent également provenir de l’environnement externe du système (décisions politiques prises ailleurs, scénarios de développement d’espaces en forte interaction avec le système étudié), dans la mesure où elles sont susceptibles d’enclencher des évolutions considérées positivement ou négativement pour le système. Un fort renchérissement des prix des carburants (scénario sur l’environnement externe) peut ainsi constituer une menace pour un territoire fortement dépendant de la mobilité motorisée privée dans son fonctionnement quotidien.

L’analyse systémique permet de dégager les grands enjeux du territoire, car elle permet d’évaluer le fonctionnement du système territorial par rapport aux objectifs sociétaux, débouchant sur la mise en évidence des quatre catégories du schéma AFOM. Il s’agit maintenant de déterminer les plus puissants leviers d’action pour répondre aux enjeux constatés. Dans le cadre du diagnostic des places urbaines, nous proposons ainsi d’ajouter deux nouvelles catégories à la démarche d’analyse, permettant d’ouvrir le diagnostic sur le projet d’aménagement. L’objectif du diagnostic est en effet d’engager le projet.

Les suggestions : la prise en considération des points forts et des points faibles, et surtout des opportunités et des menaces du territoire étudié, doit déboucher sur des suggestions stratégiques pour son aménagement, capables de rééquilibrer le fonctionnement territorial, concrétiser les opportunités et apporter des réponses aux menaces. Ces suggestions peuvent tantôt conforter des processus décisionnels déjà en route, tantôt constituer des ruptures par rapport aux interventions passées sur le territoire.

Les erreurs à éviter : la connaissance des décisions prises dans le passé dans le contexte territorial étudié, peut permettre également d’émettre des mises en garde en ce qui concerne l’aménagement futur. Les décideurs locaux pourraient en effet avoir tendance à rester dans la routine de solutions « classiques » qui, appliquée à la situation présente, peuvent contribuer à aggraver les menaces gravant sur le territoire.

Un tableau récapitulatif peut résumer les points de force, les faiblesses, les opportunités et les menaces, ainsi que les suggestions et les erreurs à éviter pour le territoire étudié. Ces éléments peuvent également se décliner par rapport aux différentes composantes territoriales étudiées.

   

Figure 6.5 :

Exemple de croquis récapitulatif d'un diagnostic territorial.

 

 

Les suggestions et les erreurs à éviter peuvent porter sur des éléments ayant une localisation précise au sein du territoire, où peuvent constituer des indications stratégiques s’adressant à des sous-espaces plus ou moins bien délimités. Dans la mesure du possible, ces préconisations trouveront une représentation spatiale dans la forme d’un croquis. Celui-ci ne constitue pas un plan d’aménagement en soi, mais une spatialisation préalable des grandes indications stratégiques, résultant du diagnostic systémique, et capable de guider, au moins dans ses phases initiales, le développement successif du plan d’aménagement. Le croquis pourra également contenir des indications partiellement contradictoires, dans la mesure où il est conçu par rapport à des opportunités et des menaces participant à des scénarios partiellement différents. La tâche du plan d’aménagement sera précisément celui de donner une forme spatiale précise et cohérente aux orientations retenus, par rapport aux objectifs et aux scénarios qui auront étés retenus dans le cadre d’une démarche participative de prise de décision.