La place et le quartier

Toute place, « centrale » ou « de quartier », se situe également au sein des composantes surfaciques du territoire urbain qui sont les quartiers. Le quartier, appréhendé comme fraction du territoire urbain ayant une physionomie propre et des traits distinctifs qui lui confèrent unité et individualité (Merlin et Choay 1988) ou comme une forme d’organisation de l’espace et du temps de la ville, un point de contact entre la vie sociale et l’espace urbain fondé sur la proximité, et dont le pouvoir structurant s’affaiblit dans le temps (Lefebvre 1967) est une entité extrêmement difficile à délimiter. Rarement il correspond aux délimitations administratives des quartiers définies par les administrations municipales. Empilant des ilots, ces délimitations parviennent souvent à utiliser les rues principales comme étant des limites de quartiers, là où bien plus souvent les rues principales sont des axes qui structurent un seul en même quartier. Au cas par cas, la prise en compte d’éléments urbanistiques (période et caractéristiques typo-morphologiques du tissu urbain, présence de barrière physiques), socio-économiques (présence marquante d’un certain type d’habitants, d’activités, de fonctionnements et d’ambiances urbaines au sens large du terme) ainsi qu’une étude du vécu et des appropriations territoriales révélées par les habitants mêmes, doivent être utilisées pour délimiter (rarement de façon univoque) les espaces de vie de proximité qui sont les quartiers. Ces délimitations sont aujourd’hui beaucoup plus difficiles dans la mesure où la vie urbaine et métropolitaine se fonde moins que dans le passé sur la proximité physique et davantage sur des liens de sociabilités tissés au sein d’espaces plus vastes et catalysés par les activités de travail et de loisir.

Bien évidemment les espaces publics, et les places en particulier, jouent un rôle important dans la structuration des quartiers. Le quartier peut d’un certain point de vue être perçu comme le champ d’un système d’espaces et d’équipements publics constituant le support des interactions humaines de proximité. La relation entre place et quartier n’est cependant pas aussi simple qu’il pourrait sembler. Plusieurs configurations peuvent ainsi se présenter.

Place au sein de quartiers

Certaines places peuvent constituer le fondement même d’un quartier, dans la mesure où elles catalysent les fonctionnements urbains (y compris en termes de symbolique) qui sont à la base de la définition du quartier (quartier comme champ de la place). Ces places peuvent par ailleurs être des places principales (jouant donc un rôle pour la ville ou la métropole dans son ensemble) ou des places secondaires, de quartier. Cela n’est pas surprenant, car même les espaces centraux d’une ville constituent des quartiers, posant éventuellement la question des conflits d’appropriations entre riverains et usagers en ce qui concerne la place. Quand elles sont des places secondaires, ces places focalisent alors essentiellement les activités et les flux liées à la vie quotidienne des habitants (commerces, administration, loisirs de proximité).

Centrales ou secondaires, ces places sont physiquement entourées du quartier dont elles constituent l’élément central. Elles ne sont en revanche pas toujours situées au centre topographique de l’espace du quartier, pouvant avoir des positions excentrées justifiées par les contraintes du relief et de l’hydrographie, par la disposition des voies de communications et, finalement, par les différentes vicissitudes de l’histoire urbaine. Bien évidemment, un quartier peut se structurer autours de plusieurs places, éventuellement connectées en système places.

Or, dans quelle mesure les fonctionnements des quartiers impactent le fonctionnement des places ? Une place principale, même si situé au sein d’un seul quartier, composera dans son fonctionnement des activités et des flux de fréquentation relevant de l’échelle urbaine avec des activités et des flux de fréquentation relevant du quartier environnant. Même si des conflits d’usage peuvent éventuellement émerger, en général la place tire profit de ce mélange de fréquentations et d’usages, susceptibles de démultiplier les opportunités commerciales et d’assurer une utilisation de l’espace publique plus constante au cours de la journée et de la semaine (voire module sur les fonctions). Une place secondaire, essentiellement fréquenté par les habitants (ou les usagers) du quartier environnant dépendra en revanche à fil double des fonctionnements/dysfonctionnements du quartier. La spécialisation sociale ou fonctionnelle du quartier limitera ainsi l’offre de commerces et de services disponibles sur la place, continuant à limiter l’attrait de la place pour des populations externes.

Place à l’interface de quartiers. 

D’autres places peuvent en revanche se situer à l’interface de plusieurs quartiers (et donc à l’interface de champs produits par d’autres systèmes d’espaces publics). Contribuant à l’interconnexion des quartiers, ces places structurent souvent les fonctionnements urbains et les configurations urbanistiques d’un vaste secteur urbain et ont vocation à jouer le rôle de places centrales au sein de la ville. Matérialisant et symbolisant l’unité de la ville, ces places ont souvent fait l’objet d’aménagements particulier, intégrant l’arrivée de plusieurs rues principales, permettant la localisation d’équipements rares, etc. La place devient ainsi un point de passage privilégié (même si pas obligé) entre plusieurs quartiers. Indépendamment des équipements localisés par la puissance publique, cette centralité par rapport aux flux permet d’attirer une offre commerciale et de services desservant les populations (et les usagers) de tous les quartiers environnants. Cependant, le passage entre les quartiers impose souvent à ces places une fonction d’espace de déplacement relativement importante. Quand cette fonction de déplacement n’est pas uniquement piétonne, mais fait la part belle aux flux de véhicules motorisés, la fonction d’usage de la place peut s’en retrouver amoindrie.

Les places principales de marché ont historiquement été localisées à l’interface de plusieurs quartiers (quartiers intra-muros et faubourgs au sein de la ville du moyen-âge). Cela les différencie profondément des plus petites places de marché de quartier. En période baroque et néo-classique, et notamment à Rome, à Turin et à Nice, des grandes places d’interface ont été conçues entre quartiers anciens et quartiers modernes, assurant le même rôle joué par le Cours Mirabeau à Aix-en-Provence, interface entre la vielle ville et le nouveau quartier Mazarin. Les places Masséna, Garibaldi et du Général de Gaulle à Nice sont ainsi des bons exemples de places à l’interface de plusieurs quartiers et à vocation « centrale ».

   

Figure 2.2 :

La place, centre du quartier (haut à gauche), la place, excentrée par rapport au quartier (haut à droite), la place, interface entre deux quartiers