La place dans l’espace urbain et métropolitain

Positionner une place dans l’ensemble d’un contexte urbain ou métropolitain signifie la situer par rapport aux éléments clés structurant ces espaces. Une ville et, à une échelle plus vaste, toute une aire métropolitaine sont en effet structurées par un ou plusieurs centres, par une multitude de pôles attractifs ou répulsifs (grand équipement public, concentration commerciale, bord de mer, friche industrielle, quartier paupérisé, etc.) et par des axes principaux (urbains, de transport, etc.). L’analyse géographique mobilise deux concepts pour caractériser l’action structurante de ces éléments. Le premier est celui de champs, appréhendé comme aire d’action d’un élément donné (aire d’attraction d’un centre, aire de diffusion d’un phénomène, d’une pratique culturelle, etc.).

C’est par cette approche que le géographe peut définir une périphérie autour d’un centre, conçue comme portion de l’espace urbain sous l’influence (fonctionnelle, symbolique, culturelle) du centre. En allant plus loin dans la démarche, on peut également mettre en évidence une structure radioconcentrique à gradient, de type centre / péri-centre / périphérie. L’analyse des axes mobilise en revanche le concept de réseau : les axes ne comptent que parce qu’ils sont interconnectés  entre eux et avec d’autres éléments réticulaires (rues ordinaires, places, gares, etc.) qui permettent d’irriguer de façon plus fine l’espace urbain et métropolitain. Bien évidemment, aux différentes échelles, ce qui peut être structurant pour une ville, ne l’est pas forcement pour l’ensemble d’une aire métropolitaine.

Caractériser le contexte d’une place revient alors à situer la place dans les champs et les réseaux définis par les principaux éléments de l’espace urbain et métropolitain. Or les places, espaces publics majeurs au sein de la ville, ne subissent pas seulement de façon passive ces champs et ces réseaux, mais elles contribuent à les déterminer. Nous ferons ici une différence entre les places structurantes au niveau urbain, et celles structurantes au niveau métropolitain.

Certaines places constituent des pôles de centralité pour un ensemble urbain (la ville entière ou un grand secteur de la ville) et sont conçues par rapport à des éléments qui relèvent directement d’une centralité urbaine (l’hôtel de ville, le marché citadin, un haut lieu de l’histoire urbaine, etc.). D’autres contribuent à déterminer des fonctionnements métropolitains, rayonnant sur toute la métropole et concentrant sur leurs abords des fonctions rares et hautement symboliques, susceptible d’expliquer le rôle national et international de la métropole.

Le positionnement de ces places « centrales » ou « principales » au sein de l’espace urbain est souvent le fait de choix d’aménagement bien précis, tout comme la localisation des fonctions symboliques et rares sur leurs abords.

Le forum des villes romaines tout comme les places de la cathédrale, de l’hôtel de ville et du marché au sein de la ville du moyen-age prenaient leur sens dans le contexte de la ville entière et contribuaient à la structurer. La localisation de ces places par rapport aux champs et aux réseaux structurant la ville n’était pas laissée au hasard : le forum été ainsi situé à proximité du croisement des deux grands axes du Cardo et du Decumanus, la place de la cathédrale et celle de l’hôtel de ville se situaient dans le centre de la ville médiévale, tandis que la place du marché était en position périphérique mais au débouché des grands axes de communication ville/campagne.

Le fonctionnement de ces places était ainsi en lien direct avec le fonctionnement de la ville dans son ensemble. Leur dimension, leur fréquentation, leur vitalité était également en rapport avec la dimension et la vitalité de la ville dans laquelle elles s’inséraient. Les places haussmanniennes desservant les grandes gares ou servant de point nodal pour les grands boulevards urbains ont également été conçues et positionnées par rapport à l’ensemble tu tissu urbain parisien.

À l’exception remarquable du complexe des forums à Rome, on aurait du mal à situer les places anciennes dans un contexte métropolitain. L’émergence d’une structuration métropolitaine de l’espace urbain date en effet de la seconde moitié du XX siècle et renvoie à des fonctionnements économiques et urbanistiques capables de mettre en réseaux (à l’échelle locale comme à l’échelle internationale) plusieurs villes précédemment indépendantes. À une échelle régionale, cela se traduit par l’émergence d’aires métropolitaines intégrées, structurées autour d’une seule grande ville-centre (métropole monocentrique, comme Paris dans le contexte du grand bassin francilien) ou bien autour de plusieurs villes-centres inter reliées (métropole polycentrique, comme la Randstadt hollandaise autour d’Amsterdam, La Haye, Rotterdam et Utrecht). À une autre échelle, ces aires métropolitaines sont inter-reliées et ont tendance à concentrer la plupart de l’activité économique, de la croissance démographique, et surtout du pouvoir de commandement au niveau national et international. Localement, la pluralité des villes au sein d’un ensemble métropolitain (qu’elles soient des villes-centre ou des villes périphériques dominées par les villes-centre) s’accompagne néanmoins d’une mutualisation des grands équipements d’envergure métropolitaine. L’aéroport international, le palais des congrès et des expositions, le parc technologique, le campus universitaire d’excellence, le stade olympique,  le quartier des affaires, sont souvent des équipements métropolitains rares partagés par l’ensemble des villes de l’aire métropolitaine. Il est ainsi possible de concevoir des places autour de ces équipements métropolitains et susceptibles par là d’avoir un rayonnement sur l’ensemble de l’aire métropolitaine. Leur dimension, leur fréquentation, leur vitalité ne dépendent alors plus du seul contexte de la ville dans laquelle elles se situent, mais deviennent une fonction de l’ensemble métropolitain et de sa capacité à se connecter à d’autres réalités métropolitaines au niveau international. La place de la Défense à Paris est un bon exemple de place à rayonnement métropolitain, car elle structure le principal quartier des affaires de la métropole parisienne, qui joue à son tour un rôle de centralité métropolitaine pour les fonctions tertiaires sur la presque totalité du territoire national français. Dans un tout autre registre, la place Saint-Pierre à Rome joue le rôle de centre rayonnant du monde catholique bien au-delà de la seule ville de Rome. Dans un cas comme dans l’autre la connexion de ces deux places aux nœuds logistiques de la métropole (aéroport international, grande gare ferroviaire) est un élément crucial de leur fonctionnement. La place de la Défense et la place Saint-Pierre montrent également comment des places à rayonnement métropolitain peuvent tantôt se localiser au sein de l’ancien centre-ville, misant sur les atouts des centralités historiques au sein des fonctionnements métropolitains, tantôt se localiser dans des nouvelles centralités périphériques, conçues de toute pièce au cours des dernières décennies comme étant des éléments à mettre en réseaux avec l’ancien centre-ville.

Comprendre le type de centralité du secteur urbain dans lequel se situe la place (centralité traditionnelle, nouvelle centralité périphérique) est une étape nécessaire à toute analyse de place dans son contexte urbain. De manière générale, les places à rayonnement urbain ou métropolitain sont toujours situées dans des quartiers assurant une certaine centralité fonctionnelle (même s’il ne s’agit pas de quartiers au centre topographique de l’espace urbain). La centralité est ainsi conférée par le quartier et renforcée par la place. Le renforcement réciproque de la centralité de la place et du quartier doit être apprécié dans le contexte de l’histoire urbaine de la ville. L’importance des places d’envergure urbaine et métropolitaine dans l’ensemble du dispositif urbain a souvent amené les aménageurs à concevoir pour ces places des localisations particulièrement favorables en termes de desserte par les grands axes routiers, les lignes des transports en commun, le mise à système avec d’autres espaces publics (places secondaires, jardins publics, promenades, etc.).

Dans des villes avec une longue tradition de planification urbaine (comme c’est le cas de la ville de Nice), les grandes places d’envergure urbaine ont été conçues dès le départ comme éléments centraux pour structurer le tissu urbain de la ville future (maillage des grands axes urbains, agencements des ilots, localisation des équipements publics, etc.). En outre, ces places constituent généralement des moments forts  dans la croissance urbaine (pôle d'origine d'une rue principale, aboutissement d’un nouveau quartier, etc.). Dans ces cas, la centralité de la place peut presque être déduite de la lecture du plan de la ville. Dans d’autres cas, la convergence de grands axes et de dessertes en transport a du être conçue a posteriori, par des interventions sur le tissu urbain préexistant. À leur tour, le renforcement de la centralité induit par ces interventions a permis aux grandes places d’attirer davantage d’activités publiques et privées à haute valeur symbolique et fonctionnelle (le nouveau musée, une concentration commerciale particulière, une mise en tourisme plus précoce et plus soignée, l’accueil d'évènements exceptionnels).

   

 

Figure 2.1 :

Croquis sur la localisation des places dans une ville type

 

 

Finalement, la plupart des places d’une ville n’ont ni un rôle structurant au niveau de la ville dans son ensemble, ni un rôle dans son fonctionnement métropolitain, d’autant plus que pas toutes les villes françaises et européennes se situent dans une aire métropolitaine. « A une certaine distance de la place centrale, se dessine un réseau de places de quartier, qui structurent et rassemblent autour d’elles la vie de quartier, dans ses dimensions également multiples » (Lévy 2008, p. 6). Il s’agit de places dites « secondaires », « de quartier », conçues pour des fonctionnements plus locaux, mais dont on ne soulignera jamais assez le rôle primordial dans le fonctionnement de l’espace urbain. La ville a ainsi besoin autant d’espace publics à haute valeur symbolique, rayonnant sur toute la ville, que d’espaces publics présents de façon capillaire sur son territoire et contribuant au fonctionnement « ordinaire » de la société urbaine. Places et placettes peuvent ainsi desservir des équipements publics de quartier (bibliothèque, médiathèque, école, mairie annexe), des nœuds du transport local (gare routière, gare ferroviaire, terminus du tramway), des bâtiments religieux, des concentrations commerciales et de loisir (galerie marchande, commerce en plein air, théâtre, cinéma), des éléments du patrimoine urbain (plus en mois mis en valeur dans le cadre d’une exploitation touristique) et tout autre élément clé de la vie urbaine locale (maison des associations, maison de l’environnement, centre d’agrégation pour les jeunes, etc.). Rarement ces places ont été conçues comme éléments centraux pour la structuration de la ville ou d’un secteur urbain entier. En même temps, le contexte urbain définis par les équipements et les fonctions localisées autour et à proximité de ces places (mairie annexe plutôt qu’hôtel de ville, marché hebdomadaire de quartier plutôt que grand marché urbain permanent) est révélateur du caractère local ou global et métropolitain de la place.

Si elles ne structurent pas de façon significative un espace urbain ou métropolitain, même les places dites « secondaires » doivent être situées dans les champs et les réseaux définis à ces échelles d’observation. Ces places peuvent ainsi se trouver dans l’ensemble du tissu urbain, en zone centrale, péricentrale ou périphérique, prenant les formes typiques des périodes historiques ayant produit le tissu urbain dans lequel elles s’insèrent. La lecture du plan de la ville nous montrera également des places qui ne se superposent pas toujours aux croisements de grands axes urbains, même si elles peuvent les jouxter. On remarque en revanche une presque totale absence de places publiques dans les espaces de développement résidentiel périurbain des dernières décennies. La conception de places publiques piétonnes au sein des grandes concentrations commerciales périurbaines semble aujourd’hui constituer une solution au manque criant d’espaces publics au sein de ces vastes territoires périphériques, comme le montre quelques exemple intéressant d’edgecity nord-américaine.