Essentiel méthodologique : Site et situation d’une place
L’analyse géographique différencie clairement les concepts de « site » et de « situation » dans l’étude des espaces urbains. Ces deux concepts peuvent s’appliquer autant à la ville dans son ensemble qu’à un élément urbain particulier (un quartier, un bâtiment, une place).
Dans le cas d’une ville, le site désigne l'emplacement de sa fondation et des extensions successives de son tissu bâti, caractérisé par les éléments topographiques (relief), géologiques, hydrographiques (rivages) et éventuellement climatiques et biologiques (végétation, pédologie, présence d’espèces animales). On peut ainsi parler de site de plaine alluviale ou de site de colline, de site en bord de mer ou en bord de fleuve, caractérisé par un climat méditerranéen ou continental, aride ou pluvieux. La construction d’une ville sur un plateau calcaire ou granitique donne d’autres facilités de construction que celle sur un site marécageux. Un site marqué par l’activité sismique ou volcanique, ou par l’instabilité géomorphologique oblige à intégrer ces risques dans la construction et l’aménagement de l’espace urbain. La caractérisation d’un site peut donner lieux à la combinaison d’éléments. Rome fut ainsi fondée sur sept petites collines sur les bords du Tibre. Le site d’une ville peut également prendre la forme d’une presqu’ile (Syracuse, Bombay), d’une ile (New York, Singapour) ou d’une ile fluviale (Montréal) ou encore d’un archipel au sein d’une lagune (Venise). Les vicissitudes historiques ont pu faire préférer dans des époques de forte instabilité politique des sites de colline facilement défendables (comme au cours du haut moyen-âge européen) et dans des périodes de relative stabilité politique (comme pendant la pax romanades quatre premiers siècles de l’ère chrétienne) des sites de plaine, en bord de fleuve ou en bord de mer. La présence de sources d’eau, ou de problèmes de paludisme, a également pu influencer le choix des sites urbains dès l’antiquité. Le site est en tous cas localement caractérisé et définit par des éléments physiques (souvent abiotiques et éventuellement biotiques) présents sur place.
La situation d'une ville est en revanche sa position géographique par rapport à son espace relationnel, que l’ont peut appréhendes à différentes échelles (locale, régionale, nationale voir internationale). Les concepts de champ et de réseau sont normalement mobilisés pour appréhender l’organisation de cet espace relationnel (voir section du contexte, page sur la place dans l'espace urbain et métropolitain). La situation se définit ainsi par rapport aux moyens et aux formes de relations assurant d'une part le jeu des forces stratégiques et de toutes forces de dominations territoriales, d'autre part des commodités d'échanges commerciaux. La situation est caractérisé par des facteurs essentiellement humains de mise en relation à d’autres espaces (distances, positionnement sur les axes de communication, facilité de relation, etc.) ou éventuellement physiques, dans la mesure où ces derniers jouent un rôle dans la mise en relation humaine entre la ville et son environnement spatial. Par exemple, la situation de confluence fluviale (Paris, Lyon), d’embouchure de fleuve (Londres, Hambourg) ou encore de façade maritime à l’issue de cols stratégiques (Gênes) permettent des relations aisées avec des vastes arrière-pays. Dans tous ces cas, le site « littoral » ou « bord de fleuve » est évalué par rapport à sa capacité relationnelle au sein d’un réseau hydrographique navigable.
Au cours de l’histoire la situation d’une ville est déterminée de façon croissante non pas par sa position vis-à-vis d’un espace agricole, mais par celle qu’elle prend à l’intérieur d’une armature urbaine (régionale, nationale) et aux grandes voies de communication. On peut ainsi caractériser une ville comme étant dans le champ d’une grande métropole (Orléans par rapport à la métropole parisienne), dans une situation d’interface entre deux grandes métropoles (Dijon entre Paris et Lyon) où au sein d’un grand réseau métropolitain macro-régional (toute ville de la dorsale européenne). À une échelle locale, Avignon se trouve bien au centre d’une constellation de petits centres urbains locaux qu’elle domine (Carpentras, Cavaillon, Orange, etc.). A une échelle régionale, elle occupe une situation d’interface entre le corridor urbain languedocien (Sète-Montpellier-Nîmes) et l’aire métropolitaine Aix-Marseille-Etang de Berre, contrôlant en même temps le carrefour qui lie ces deux espaces urbains au sillon rhodanien. La généralisation de nouvelles technologies de transport et de communication transforme également les paramètres de la mise en relation. Dans le cadre de la mondialisation des échanges, ce qui conte est le positionnement sur les grandes routes maritimes et aériennes ou sur les axes de la grande vitesse ferroviaire. À une échelle plus locale, les distances topographiques sont également déformées par l’anisotropie des réseaux autoroutiers et ferroviaires qui lient les villes entre elles.
Au sein d’une ville, on peut parler également parler de site et de situation d'un quartier ou d’une place publique. Ainsi, le site d’une place peut être caractérisé par les traits physiques de l’espace qu’elle occupe, l’espace étant appréhendé fondamentalement en tant qu’espace support. Il s’agit souvent d’un espace plat (dont les caractéristiques géotechniques du sous-sol peuvent également être importantes), mais il peut être également incliné comme pour le Campo à Sienne ou étagé (obligeant la place à se développer sur plusieurs niveaux, comme la place d’Espagne/Trinità dei Monti à Rome). À une échelle à peine plus petite, l’espace plat de la place peut être localisé aux pieds d’une colline (comme souvent l’étaient les agoras grecques et comme c’est le cas de la place des Terreaux à Lyon), sur la sommité d’une colline (cas relativement fréquent dans les villages perchés), dans un espace de rupture de pente ou bien en plein milieu d’une plaine. Les localisations sommitales ou en rupture de pente peuvent être utilisés pour donner une ouverture scénographique à la place (place du Capitole à Rome, place du 24 Août à Grasse). La place de la République à Urbino (Italie) est bâtie sur une selle entre deux collines. La place peut également être aux bords d’un fleuve (comme la place de la Bourse à Bordeaux), d’un canal (place San Marco à Venise) ou en bord de mer (comme la place Ile de Beauté à Nice et la place du Commerce à Lisbonne). Clairement le site d’une place prend appui sur les particularités locales du site de la ville dans laquelle elle se trouve. Pinon (1991) et, bien avant lui, Sitte (1889) soulignent comme les espaces urbains médiévaux se modèlent largement sur les formes du site (contraintes du relief, de l’hydrographie). Les tentatives de l’urbanisme moderne de s’affranchir des contraintes des sites ont souvent abouti à la perte des potentialités liés à ces contraintes (vue, ensoleillement, intégration paysagère, etc.) réorientant les réalisations plus récentes vers une plus grande attention au site et à ses spécificités.
La situation d’une place est définie par le positionnement dans les champs et les réseaux de l’espace urbain à différentes échelles (ses abords directs, le quartier, la ville dans son ensemble, l’espace métropolitain). L’espace ici est appréhendé d’abord comme espace relationnel entre différentes composantes humaines. On ne sera pas étonné du fait que certains éléments de site peuvent être différemment interprétés en tant qu’éléments de situation. Le site de pied de colline du forum républicain à Rome peut ainsi être apprécié en tant que point de passage obligé, et donc interface, entre les noyaux urbains des collines du Capitole, du Palatin et du Quirinal. À une échelle plus vaste, le forum est le seule espace de plaine entouré par les sept collines (et donc facilement défendable) avec un accès directe au Tibre. Il se situera ainsi tout naturellement sur une confluence de rues connectant les collines au fleuve. Au fur et à mesure que Rome soumettra l’ensemble des populations latines et italiques environnantes et, successivement, l’ensemble du bassin méditerranéen, les forums romains (ayant entre-temps gagné en surface et en complexité) se situeront alors dans l’hyper-centre de la ville capitale d’un vaste empire, centralité à la fois symbolique, militaire et réticulaires (les principales routes maritimes méditerranéennes ainsi que le réseau des voies consulaires convergeant sur la ville-capitale). L’analyse de la situation d’une place est donc essentiellement une question multi-scalaire qui sera au centre de nos réflexions. Elle est développée dans les différentes sections du présent module (section du contexte, page sur la place dans l'espace urbain et métropolitain, la place et le quartier, et la place dans le tissu urbain environnant). Comme pour le site, aux échelles qui vont au-delà de ses abords immédiats, la place hérite des éléments de situation qui caractérisent déjà le quartier, la ville et la métropole dans laquelle elle se situe. Une place située dans un quartier central reste ainsi une place de centre-ville (ce qui n’en fait pas pour autant une place centrale), indépendamment de son contexte urbain plus local. Nos analyses seront ainsi particulièrement développées dans la caractérisation du contexte local de la place (la place dans le tissu urbain environnant), qui sera ultérieurement étudiés en termes morphologiques et architecturaux (module sur la composition) et fonctionnels (module sur les fonctions).
Figure 2.17 : Site d’une place sur un terre plein aux pieds d’une colline et sur le bord d’un fleuve |