L’analyse morphologique de la place
Les places sont des espaces publics ouverts minéraux (même si pas toujours entièrement) connectés au reste de la ville par des accès de rues qui y débouchent et pourtant visuellement fermées par une certaine disposition du bâti autour de celles-ci. En effet, les façades du bâti qui borde la place constituent un système de parois (plus ou moins trouées) pour la place.
L’analyse morphologique de la place vise directement la question de la forme de cet espace ouvert, et en même temps fermé, délimité. Selon Bertrand et Litowski (1984, p. 30), du point de vue de la forme « la place est une boîte ; boîte à chaussures, à chapeaux, boîte ronde, ovale, rectangulaire, carrée ; une boîte bien régulière ou fantaisiste, capricieuse ; une boîte plus ou moins haute ou plate, plus ou moins trouée ou pleine, ouverte ou fermée. Mais elle a toujours, comme toutes les boîtes, un fond, plusieurs côtés et un couvercle ». Ces trois éléments de la « boîte » correspondent aux trois composantes d’une pièce d’intérieur : le plancher, les parois qui l’entourent et le plafond. « Le plafond, très particulier, est transparent si nous voyons la boîte d’au-dessus, depuis le ciel. Si nous sommes à l’intérieur, comme c’est le cas le plus fréquent, il parait immatériel, très haut et lumineux, plein d’étoiles, ou gris sous un bas plafond de nuages […] Le plancher peut être plat, incliné ou en gradins, jusqu’à se confondre avec les parois. Ces dernières, qu’elles paraissent lisses ou plus ou moins sculptées, sont tantôt aveugles, tantôt trouées d’ouvertures ménageant la vue sur des paysages divers : grandes perspectives, jardins, autres espaces … La diversité est infinie ».
De façon plus analytique, plusieurs critères sont à examiner en ce qui concerne la morphologie de la place :
La forme et les dimensions de la place. La première phase d’une analyse morphologique de la place consiste précisément à dégager la configuration géométrique de son contour à partir du plan de masse. Si la forme est relativement simple et régulière elle peut dessiner une figure (forme claire et reconnaissable) : rectangulaire, en L, circulaire, ... mais la place peut également prendre des formes fort irrégulières. La forme déterminée renvoie à un certain symbolisme : une place ronde ou carrée véhicule une certaine idée de rationalité, de perfection, d’absolu, d’infini, alors qu’une place triangulaire traduira plus une image d’intimité, de proportion, de sécurité. La régularité de la place est à mettre en relation avec les différentes étapes de sa construction et de son évolution au sein du tissu urbain.
La forme de la place peut également être plus ou moins allongée (tels que la Place Navone à Rome et la Place aux Herbes à Vérone) mais seulement dans certaines limites, car autrement la place risque de perdre son identité d’espace public surfacique pour être d’avantage assimilée à l’espaces public linéaire de la rue. La place Navone à Rome, grâce également à sa figure parfaitement définissable (reprenant le tracé de l’ancien stade de Domitien), est ainsi clairement identifiée en tant que place en dépit d’un rapport de 1 à 5 entre largeur et longueur. Avec un rapport de 1 à 10, le cours Saleya à Nice ne pourra en revanche pas être considéré une place du point de vue morphologique, en dépit d’un fonctionnement plus proche à celui de la place (marché, terrasses) qu’à celui du cours (devantures commerciales, espace de promenade).
Comme pour les formes, il existe des places de tailles différentes, les plus petites sont d’environ 500 m² (ce qui la rend néanmoins supérieure à l’emprise au sol d’un bâtiment traditionnel de taille moyenne) ; celles de grandes dimensions sont supérieures à l’hectare (de taille exceptionnelle, la place Bellecour à Lyon atteint les 6 ha). Les dimensions de la place se mesurent du bord à bord du bâti et contribuent à définir le rapport entre la hauteur du bâti et l’étendue de la place. La forme de la place doit en effet être appréciée également par rapport à la dimension verticale. Régulière ou irrégulière, une petite place entourée par des bâtiments de six ou sept étages prendra la forme d’un canyon tandis que dans l’énorme place Belcour de Lyon, la même hauteur de bâtiments parvient à peine à affirmer une dimension verticale autour de l’espace public.
L’étendue de la place est également en rapport avec les forces urbaines qui l’ont produite. Si conçue par rapport à l’accueil de réunions publiques (civiles, religieuses) ou d’activités commerciales (marché), la taille de la place est évidemment un indicateur de la force du pouvoir de ville (ou du quartier) dans la quelle elle s’insère. Les places de représentation du pouvoir de l’âge baroque, tout comme les places d’armes, sont en revanche déconnecté de ce rapport avec les forces urbaines et économiques qui l’utilisent.
L’orientation de la place : Selon C. Sitte, la place s’organise traditionnellement autour d'un édifice principal à haute valeur symbolique qui lui donne une orientation, c'est-à-dire une direction privilégiée d’observation. Une même place rectangulaire pourra ainsi être une place en profondeur ou en largeur, selon que son bâtiment principal occupe le côté court ou le côté long du rectangle (image …). Cette orientation privilégiée de la place, peut influer sur la composition urbaine de tout un secteur urbain (un axe perspectif pourra ainsi aboutir sur la façade du bâtiment principal, contribuant à orienter tout un quartier, voir tout un secteur urbain). Bien évidemment, le rapport entre le bâtiment principal et la place, engage également celui entre les dimensions de la place (notamment sa profondeur) et celles du bâtiment (tout particulièrement la hauteur de sa façade). C’est la raison pour laquelle les églises, à la façade relativement haute, organisent normalement des places profondes, tandis que les bâtiments civils (tels qu’un hôtel de ville ou un palais seigneurial) peuvent plus facilement organiser des places en largeur. La combinaison d’un bâtiment civil et d’un bâtiment religieux, comme à Vigevano (cfr. image …) peut ainsi donner naissance à une place qui s’oriente à la fois en profondeur et en largeur.
Ouverture et fermeture de la place. La fermeture de la place est assurée par le bâti entourant celle-ci grâce à ses façades. La fermeture ne peut jamais être totale, car la place est normalement connecté au reste de la ville par l’arrivé de rues qui percent le front bâti. Le rapport entre les pleins (le bâti) et les vides (les ouvertures) le long du périmètre de la place, peut être directement calculé sur le plan pour obtenir une idée de la porosité de ce périmètre.
La conception antique et médiévale de la place en tant qu’espace essentiellement fermé a amené à plusieurs solutions formelles pour réduire l’impact visuel des ouvertures des parois de la place. Le forum romain était ainsi normalement bordé de portiques à arcades, qui constituaient un diaphragme autant entre les bâtiments et le centre du forum qui entre les rues et ce dernier. Des passages voutés et des loges peuvent également border la place de la ville médiévale. La principale manière d’assurer la fermeture visuelle de la place est ici néanmoins l’arrivée accoudée des rues et des ruelles, produisant l’illusion d’un espace plus fermée qu’il ne l’est sur le plan.
À partir de la Renaissance, les rues (aux gabarits au demeurant plus généreux) commencent à se frayer une arrivée perpendiculaire aux bords de la place, arrivée conçue comme bout de perspective pour un axe urbain. La place baroque et néo-classique peut même concevoir un côté intégralement ouvert sur le grand paysage, qui est mis à contribution dans la construction des scénographies urbaines (comme c’est le cas de la mer dans le cas de la place du commerce à Lisbonne). Des connexions directes de type place-jardin peuvent également assurer l’ouverture d’un côté de la place.
Figure 3.1 : L’orientation de la place |
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A. Place en largeur : l’édifice principal de la place occupe le côté le plus long, de ce fait, il donne une orientation en largeur de la place.
B. Place en longueur : l’édifice emblématique de la place occupe le côté le plus court.
C. Place à la fois en longueur et en largeur : deux édifices importants orientent chacun la place selon leur disposition.