La place de la Renaissance
La Renaissance européenne, époque charnière entre l’époque médiévale et l‘époque moderne, est une période historique qui eut comme origine la Renaissance italienne : une Pré-Renaissance se produisit dans plusieurs villes d’Italie dès le XIVe siècle (Trecento), se propagea au XVe siècle dans la plus grande partie de l‘Italie, en Espagne, dans certaines enclaves d‘Europe du Nord et d‘Allemagne, sous la forme de ce que l‘on appelle la première Renaissance (Quattrocento), puis gagna l‘ensemble de l‘Europe au XVIe siècle (Cinquecento).
Plusieurs éléments concourent à faire de la Renaissance un contexte historique et culturel en rupture avec le Moyen-âge :
· Le pouvoir municipal perd son autonomie. En Italie, en Allemagne et dans les Flandres, la bourgeoisie marchande de la ville remet le pouvoir dans les mains d’un seigneur capable d’assurer stabilité politique et modernisation de la structure étatique. Des grandes monarchies modernes émergent progressivement en France, en Espagne et en Angleterre.
· Un nouvel esprit humaniste place l’être humain au centre de la réflexion culturelle, notamment en ce qui concerne la conception de l’espace architectural et urbain. L’emprise religieuse du Moyen-âge disparaît peu à peu et est substituée par une confiance accrue dans les capacités humaines, symbolisées par la réussite politique du prince er par celle économique du brugeois.
· Dans les arts figuratifs, le monde stéréotypé du gothique est remplacé par une vision plus terrienne des faits humains, nourrie en même temps par une nouvelle symbolique séculaire et par les règles scientifiques de la représentation perspective.
· Re-naissance des formes pures et nobles aux proportions rigoureuses de l’art antique. La croix grecque, le carré, le cercle sont les composantes du plan. Le maillage des villes est plus régulier et les formes des tracés sont géométriques
· L’architecte se distingue peu à peu comme un penseur non ouvrier. Il développe une réflexion théorique sur l’architecture et sur l’espace urbain et conçoit des plans faisant preuve d’une grande rationalité. Par les travaux de Leon Battista Alberti (DeRe Aedificatoria, 1485) sont ainsi redécouverts et réappropriés les textes théoriques de l’antiquité, tel que le De Architectura de Vitruve. Cela permet une meilleure organisation des chantiers, qui ne seront plus dictés par la perception « sur place » des architectures produites, mais devront reproduire des formes préalablement établies sur plan.
Ces éléments se répercuteront dans la conception de nouvelles configurations pour la place, espace public clé au sein de la ville. Cela est d’autant plus vrai que les nouvelles théories urbaines se traduiront très rarement dans la création de villes nouvelles (l’essentiel des villes nouvelles européennes ayant été fondées au cours du renouveau urbain du second Moyen-âge). Des chantiers bien plus modestes, menés souvent à l’occasion de l’édification d’une nouvelle église ou d’un nouveau bâtiment publique, se chargeront alors d’une valeur symbolique énorme. Il s’agit de montrer, par la réalisation d’une place exemplaire quelle est la puissance de la nouvelle conception urbaine de la Renaissance, susceptible de concevoir et créer, si les moyens lui sont données, une véritable ville idéale. Le nouveau pouvoir seigneurial ou royal, désireux de légitimer son ascension, sera souvent le commanditaire de ces interventions ponctuelles au sein du tissu urbain hérité du Moyen-âge. Il s’agit à la fois de créer des nouveaux espaces publics articulant le palais du seigneur à la ville constituée, de lui donner une nouvelle centralité au sein de l’espace urbain et d’asseoir symboliquement la légitimation du nouveau pouvoir par le patronage de conceptions plus modernes et rationnelles en matière de conception architecturale.
Pour des raisons pragmatiques, la relation église-palais-place occupe ainsi le centre de la réflexion urbanistique de la Renaissance. Selon P. Lavedan, J. Hugueney et Ph. Henrat, (L’Urbanisme à l'époque moderne : XVIe-XVIIIe siècle) les caractéristiques de la beauté urbaine « classique », élaborées au cours de la Renaissance sont les suivantes :
· Géométrie et symétrie : la ville est bâtie suivant un plan géométrique. Les rues sont subordonnées à un centre et distribuées symétriquement par rapport à lui. L’extension de la ville ne se fait plus au fil de l’eau (comme au Moyen-âge), mais commence à s’effectuer à partir d’éléments clés (places, rues principales, bâtiments publics) élaborées sur plan à partir d’une conceptualisation préalable, comme le montre la première grande extension urbaine « moderne » à Ferrare, au tout début du XVIème siècle.
· Perspective : les rues principales offraient dans leur majorité des perspectives monumentales, la composition urbaine des places et des complexes monumentaux est conçue par rapport à leur perception étudiée scientifiquement grâce aux règles de la perspective centrale. Dans l’urbanisme classique, la limitation du champ de vision est voulue et obtenue par un édifice.
· Ordonnance (discipline et uniformité architecturale) : dans les rares réalisations de villes nouvelles (Vitry-le-François en France, Palmanova en Italie), la ville est ordonnancée autour d’une place centrale avec un maillage régulier.
Les caractéristiques des places de la Renaissance
À la Renaissance comme au Moyen-âge, la place constitue encore élément clé de la structure urbaine, c’est dans la place que se déroule une grande partie de la vie quotidienne des habitants et c’est dans la place que la société urbaine cherche les valeurs symboliques capables de la représenter. Toujours selon C. Sitte p.16 « … au Moyen-âge et pendant la Renaissance, les places urbaines jouaient encore un rôle vital dans la vie publique, et par conséquent il existait encore une relation fondamentale entre ces places et les édifices publics qui les bordaient… ». Ce qui change être les deux époques est d’abord le type de bâtiments donnant un sens à la place : non plus une cathédrale œuvre collective des citadins, mais une nouvelle église commandité par le pouvoir en place, non plus un hôtel de ville avec son beffroi, symbole de l’indépendance du pouvoir municipal, mais le palais du seigneur, nouveau maître de la ville, chef militaire et patron des arts et des sciences. Les formes également sont différentes. À l’irrégularité de la place du Moyen-âge s’oppose la régularité géométrique des places de la Renaissance : places carrées et rectangulaires, parfois octogonales. À Rome, Michel-Ange conçoit une place trapézoïdale sur le Capitole, pour corriger la convergence des lignes parallèles de la perspective centrale qui commande notre vision et permettre à l’observateur de percevoir une place « plus rectangulaire que le rectangle ».
À Vigevano, le duc de Milan conçoit une place rectangulaire entièrement entourée de portiques et faisant l’office de « cour d’honneur urbaine » pour son palais. Comme déjà à Urbino, en Italie centrale, le palais du seigneur ne s’oppose plus à la ville dans les formes d’un bourg fortifié. Il est une architecture urbaine, ouverte sur la ville par le biais d’une place publique capable de démultiplier le rôle symbolique du palais et de catalyser l’activité marchande de la ville. Pouvoir seigneurial et bourgeoisie trouvent les formes urbaines pour sceller leur alliance politique.
Figure 1.6 : Piazza Ducale à Vigevano, Italie |
Figure 1.7 : Place de Steccata, Parme, Italie |
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La place de la Renaissance est définie par ses parois qui sont représentées par les façades des immeubles qui la bordent de tous les côtés. La place de la Steccata à Parme est un exemple de place entièrement fermée. Conçue à l’intérieur de l’ancien tissu urbain moyenâgeux, elle ne bénéficie pas de nouveaux axes perspectifs. Dépourvue des lourdes taches symboliques d’auto-représentation du pouvoir seigneurial, elle est conçue dans un jeu de proportions par rapport à la nouvelle église de la Steccata et témoigne de la capacité des architectes de la Renaissance à articuler les pleins et les vides de l’espace urbain pour atteindre le résultat le plus harmonieux possible par rapport à la perception humaine.