La Place des Yuccas

 

La place des Yuccas a été créée à l’époque des grands ensembles en périphérie de la ville, bâtis pour répondre à une demande urgente de logements. L’objectif de la place était en particulier celui de doter son quartier d’un espace de rencontre et de concentration de services de proximité. Cette conception « locale » de la place a encore aujourd’hui bien de conséquences sur ses fonctionnements. L’analyse de la place des Yuccas se structurera dans les trois sections suivantes :

 

1. La distribution spatiale des fonctions

2. La distribution spatio-temporelle des usages et des flux

3. L’appropriation de l’espace

 

Résumé

La place des Yuccas est une place de quartier mal connectée avec son environnement et renfermée sur elle-même, où on constate une faible fréquentation d’usagers. Plusieurs phénomènes concourent à ce résultat. D'une part, le manque de diversité primaire de la place et de son quartier, susceptible d’attirer des visiteurs au-delà des riverains. La faible fréquentation de l’espace public qui en découle fragilise également le peu de commerces qu’y sont présents. Certains enseignes ont ainsi fermé, d’autres concentrent les heures d’ouverture à certains moments de la journée, ce qui renforce une fréquentation discontinue de l’espace public. D'autre part, l’état de dégradation de l’espace public, ainsi que l’absence de mobilier urbain de qualité, contribuent à amoindrir l’attractivité de la place et s’auto-entretiennent avec certaines appropriations informelles de l’espace public (stationnement de véhicules). Ces phénomènes plongent la place dans un manque de dynamisme et finalement un manque d'attractivité même pour les habitants du quartier.

 

La distribution spatiale des fonctions :

Les types d'espace : espace « banal », espace spécialisé.

L’espace banal permettant la libre circulation et le libre stationnement des piétons domine la place avec près de 4 000 m². La place est en particulier complètement fermée à la circulation automobile ainsi qu’au stationnement. À l’espace piéton de la place il faut encore rajouter le grand espace végétalisé qui la borde au sud et à l’ouest (entre le marché couvert et la place) et les autres espaces résiduels entre les bâtiments, même ci ces derniers sont en partie utilisés pour le stationnement automobile. L’espace spécialisé comprend des bâtiments dont les rez-de-chaussée sont à usage commercial et les étages sont occupés par de l’habitat (sur le côté est) et des bâtiments uniquement résidentiels (sur le côté ouest). En rajoutant les surfaces dédiées au marché couvert, on peut noter que, au moins en termes de potentiel, la surface commerciale au sol autour de la place est importante au même titre que la spécialisation en habitat. Des espaces dédiés au stationnement automobile sont également au sous-sol, sous la partie surélevée de la place.

   

Figure 4.77 :

Schéma de la répartition entre espace « banal » et espaces spécialisés pour la place des Yuccas

 

 

 

Figure 4.78 :

Les fonctions abritées par la place des Mosaïques (seul le rez-de-chaussée est pris en compte)

La fonction résidentielle

L’habitat est la fonction quasi prédominante dans l’ensemble du quartier. La totalité du parc est constituée de logements sociaux répartis en plusieurs tours et barres. Les immeubles autour de la place ont une hauteur moyenne d’une quinzaine d’étages et permettent l’accueil d’un nombre important de familles, avec néanmoins la spécialisation sociale (actifs à faibles revenus, chômeurs, etc.) typique des cités HLM.

   

Figure 4.79 :

Immeubles d’habitat autour de la place des Yuccas

 

La fonction commerciale

La carte des fonctions de la place indique une forte présence de services (marchands et non marchands) en rez-de-chaussée d'une barre bordant la place au nord et à l’ouest (école maternelle, laverie, vidéo club, association culturelle et sportive). Des commerces de proximité en nombre plus faible sont également présents (pharmacie, presse), ainsi qu’un marché couvert quotidien qui capte une clientèle composée essentiellement des riverains de la place. La présence de ces services et commerces crée un minimum de diversité secondaire, mais n’est pas capable d’assurer une véritable diversité primaire au delà de la fonction résidentielle. Ainsi, l’importance des services et des commerces sur le pourtour de la place est bien inférieur au potentiel que l’on pourrait déduire de la lecture de la carte de répartition des espaces spécialisés.

   

Figure 4.80 :

Marché couvert et commerce en rez-de-chaussée d’immeuble sur la place des Yuccas

 

La place des Amaryllis, à proximité de la place des Yuccas, comprend aussi des activités commerciales de proximité, dont un café. Les gestionnaires de la cité font souvent référence à l’ensemble de deux places en tant que « centre commercial » du quartier, mais la réalité des commerces présents (et effectivement ouverts) ne correspond pas au niveau d’activité et à l'image d’un véritable centre commercial.

D'autre part, il n'y a pas autour de ces deux places des fonctions primaires qui pourraient susciter une attractivité envers les autres quartiers niçois. Les seules fonctions primaires existantes sont assez éloignées (cité administrative, salle de spectacle Nikaia, quartier d'affaires des Arénas) et aucune liaison directe (piétonne, automobile ou en transports en commun) ne relie les places des Yuccas et des Amarillis à ces fonctions.

 

La distribution spatio-temporelle des usages et des flux

Les flux de mobilité

L'espace public de la place est uniquement piéton. Étant entourée de bâtiments à usage d'habitation, la place est d'abord un espace de transition entre le « chez soi » et les parkings (en sous-sol ou sur les voies publiques bordant les immeubles) ou l’arrêt de bus (sur le boulevard Paul Montel).

Les flux principaux ont pour origine les deux principaux accès de la place orienté à l’est vers le Boulevard Paul Montel (relation avec l'extérieur du quartier). L'accès plus au nord est un passage piéton à ciel ouvert entre deux bâtiments, tandis que l'accès plus au sud se fait sous le principal immeuble-barre. Nous verrons dans le module sur la perception que cette typologie d'accès a une influence déterminante sur la perception de la place. De même que cela joue un rôle non négligeable sur la fréquentation de la place. Les flux secondaires correspondent à des déplacements de liaison entre les entrées des bâtiments d'habitation pour rejoindre les parkings (au sous-sol du parvis surplombant la place) ou l’école maternelle.

   

Figure 4.81 :

Les principaux flux de mobilité sur la place des Yuccas

 

 

   

Figure 4.82 :

La répartition des personnes à l'arrêt et en mouvement sur la place des Yuccas

 

 

Comme la place du Général De Gaulle, la place des Yuccas accueille un marché. Ainsi, le mouvement des personnes sur la place peut varier selon la présence ou non du marché. Cependant, s’agissant d’un tout petit marché de quartier, ce dernier n'influe que marginalement la répartition des points d'arrêt des personnes. La carte montre ainsi des points d’arrêt pour le piétons se distribuant de façon relativement symétrique sur les deux bords de cette place allongée, bords abritant d’un côté les services et les quelques commerces, et de l’autre les étales du petit marché. En réalité, les personnes à l’arrêt ne correspondent pas toujours aux chalands de ces activités, mais également à des petits groups de riverains discutant aux entrées des immeubles.

Les activités ne génèrent ainsi pas de flux particuliers, mais, au plus, le détour de quelques riverains rentrant à leurs domiciles. En effet, l'absence de terrasse de café, d'étalages (les étales de marché sur la place publique sont désaffectées et l’activité marchande se réduit aux bâtiments du marché couvert) et de diversité commerciale, n'attire pas des chalands du reste du quartier et des quartiers environnants.

L’utilisation de la place au cours du temps

Selon nos comptages, il apparait que le pic de fréquentation de la place des Yuccas se situe aux alentours de 18h, à la rentrée des riverains du travail ou de l’école. De nombreux écoliers viennent ainsi jouer au ballon sur les vastes étendues d’espace public inutilisé et de petits groups d’adolescents se rencontrent dans des coins de la place, surtout à l’endroit des étales de marché désaffectées. A 9h du matin, la place est très calme et ne voit que les commerçants ouvrir leurs boutiques. A 13h la place reçoit un peu plus de monde composé essentiellement d’écoliers et de quelques rares chalands des commerces, mais reste globalement sous-fréquentée. En revanche, le soir à 21h (les comptages ont été effectués au mois de mai), la place renoue avec ses habitants qu’y viennent pour se rencontrer. En raison de l’absence d'autres fréquentations que les habitants des immeubles environnants, la place n’a pas une grande fluctuation de sa fréquentation au cours de la semaine et de l’année (sauf, bien évidemment la moindre fréquentation en soirée à l’automne et en hiver).

   

Figure 4.83 :

Comptage des présences sur la place des Yuccas au cours de la journée

 

Qui sont les usagers de la place ?

Nous avons questionné vingt personnes rencontrées sur la place en fin de matinée sur la place des Yuccas, ce qui nous a permis d’établir le profil

   

Figure 4.84 :

Profil socio-démographique d’un échantillon d’usagers de la place des Yuccas

 

 

Ce profil montre un relatif équilibre entre actifs et non-actifs, entre hommes et femmes (avec néanmoins une certaine sur-représentation masculine) et entre les différentes classes d’âge. Il faut néanmoins garder à l’esprit que la fréquentation de la place varie au cours de la journée. En effet, pendant le matin, ce sont plus des personnes âgées qui profitent de la place alors que le soir, les actifs et les adolescents deviennent majoritaires. Les personnes interrogées proviennent toutes du quartier, à l’exception du matin, où l'on peut rencontrer des agents de nettoiement envoyés par la ville de Nice.

L’utilisation de la place par ses usagers 

A la question de savoir quelle motivation les incite à venir sur la place, 25% des usagers rencontrés le font pour discuter et voire des connaissances. Cette catégorie d’usagers est essentiellement faite de retraités, pour lesquels la place constitue la destination finale. De surcroît, il s’agit d’habitants du quartier qui fréquentent régulièrement la place à des moments précis de la journée, notamment le matin. Plusieurs usagers, pas seulement retraités, déclarent venir sur la place pour promener le chien ou rencontrer du monde. Un quart des usagers (interviewés pendant la matinée) viennent sur la place pour faire leurs courses au petit marché des Yuccas. Ce sont pour la plupart des femmes au foyer qui profitent de ce moment pour rencontrer leurs amies et discuter tout en faisant leurs achats. Les 25% restant sont des actifs qui viennent sur place pour travailler. Ce sont pour la plupart des personnes qui tiennent des commerces et des agents d’entretiens et de nettoyage.

   

Figure 4.85 :

Les motifs de la fréquentation de la place des Yuccas

 

 

La grande majorité des usagers rencontrés déclarent venir sur la place régulièrement (plus d’une fois par semaine) mais pas quotidiennement. Les usagers quotidiens sont seulement 20%. Les personnes âgées, les sans emploi et les écoliers qui fréquentent la place régulièrement le font à des moments différents. Les retraités l’utilisent généralement le matin, les écoliers à la sortie des cours et les sans emploi le soir. Par ailleurs, les employés, qu’ils soient les commerçants travaillant sur la place ou les habitants du quartier travaillant ailleurs déclarent utiliser la place presque au quotidien.

De même, à très grande majorité (80%), les usagers de la place profitent de son espace public pour une heure ou plus, avec une petite minorité (20%) d’usagers plus pressés.

En dépit de ses défauts et de son manque d’attractivité commerciale, les comptages et les indications des durées et des fréquences d’utilisation, montrent que la place des Yuccas joue un rôle non négligeable pour la sociabilité d’une partie de ses riverains.

   

Figure 4.86 :

Durée et fréquence d’utilisation de la place des Yuccas

 

 

L’appropriation de l’espace

L'espace de la place des Yuccas semble se diviser simplement entre un domaine privé et un domaine public. L’espace ouvert de la place est ainsi public, tandis que les bâtiments résidentiels constituent l’espace privé. Il y a peu d'espaces semi-publics. Ces derniers correspondent aux commerces en rez-de-chaussée, aucune terrasse ne vient étendre ces espaces d’accueil marchand. En réalité, un certain nombre d’ambigüités vient flouter les statuts d’appropriation formelle de la place des Yuccas. Traditionnellement, la voirie et les places de la cité des Moulins, y compris la place des Yuccas, étaient gérés directement par l’office public du logement social des Alpes-Maritimes, en tant qu’espace collectif au sein des immeubles. Ce n’est que dernièrement que, suite à une convention bipartite avec la ville de Nice, la voirie du quartier, même si elle ne fait pas partie du domaine public, est gérée et entretenue par les services municipaux. En même temps, les espaces verts aux abords des immeubles qui jouxtent la place et le parvis surelevé sur le parking souterrain, continuent à faire partie des espaces attenants aux immeubles, avec un statut indéterminé d’espace privé à usage plus ou moins public.

   

Figure 4.87 :

Schéma de distribution de l’appropriation de la place des Yuccas

 

 

Une fois sur les lieux, l’on est frappé par l’état d’abandon de la place, qui ne cesse de se dégrader. L’espace de la place n’est pas du tout utilisé par les commerces. En effet, aucune étale (les étales sur l’espace ouvert de la place sont à l’abandon et les commerçants du marché utilisent seulement l’espace interne aux structures en dur) ou table n’est disposée sur le parvis, laissant ainsi un vaste espace sans utilisation, ce qui crée un vide mal approprié par l’ensemble des usagers. L’état d’abandon du mobilier urbain semble presque suggérer que la place n’est à personne : ni à la municipalité, ni à l’office public, qui ne remplacent pas le mobilier dégradé, ni aux commerçants, qui n’utilisent pas le potentiel de l’espace public devant leurs vitrines, ni aux associations de riverains et/ou d’usagers, qui ne se sentent pas impliqués dans la gestion de l’espace commun. L’espace est finalement à ceux qui l’occupent, les jeunes écoliers qui disposent leurs vêtements pour créer un petit terrain de jeu, les adolescents qui contrôlent une petite portion d’espace où ils se réunissent, les particuliers qui déplacent les barrières physiques pour s’approprier de quelques morceaux de place en tant que stationnement pour leurs véhicules.

   

Figure 4.88 :

La faible appropriation de l’espace public de la place des Yuccas

 

 

   

Figure 4.89 :

Exemples d'appropriations informelles de la place des Yuccas (jeux de ballon, stationnement illégal.