La Place Garibaldi

1. Les séquences visuelles

Les six axes viaires convergeant sur la place Garibaldi permettent de définir six différentes séquences d’approche à l’ancienne place royale, qui ont été représentées par le biais de l’outil photographique (Figure 5.10).

   

Figure 5.10 :

Les six séquences visuelles d’approche à la Place Garibaldi

 

 

L’avenue du Dr Ciaudo - L’avenue du Dr Ciaudo permet de définir une séquence d’approche à la place Garibaldi depuis l’ouest, sur la couverture du fleuve Paillon, qui séparait anciennement la vieille ville de Nice des nouveaux quartiers du XIXème siècle. La particularité de cette séquence est le passage sous les étages du Musée d'Art Moderne. Ainsi, lorsque que l'on approche le musée pour se diriger vers la place Garibaldi (cliché 1), le bâtiment ferme la perspective sur la place et ne laisse apparaître qu'une petite échappée visuelle qui donne le sentiment d'être écrasée sous le poids de l’immeuble. Cependant, cette petite ouverture peut susciter la curiosité à passer sous le bâtiment pour découvrir ce qu'il y a de l'autre côté. Effectivement, une fois traversé le passage couvert sous le musée (cliché 3), l'on a tout de suite une impression d'ouverture du champ visuel, ouverture qui va s’élargissant avec l’arrivée sur la place (clichés 4 et 5).

L’avenue de la République – La séquence visuelle définie par l’avenue de la République a été à la base de la composition de la place Garibaldi. Ancienne route royale, l’avenue représentait à la fin du XVIIIème siècle l’entrée à la ville de Nice depuis le nord. Le cadre bâti de l’avenue s’est profondément modifié au cours du temps (anciennement une porte monumentale jalonnait l’avenue) mais la caractéristique principale de cette séquence demeure intacte, notamment sa perspective monumentale sur la Chapelle du Saint Sépulcre. L'avenue constitue une arrivée frontale sur la paroi sud de la place, ainsi, cette perspective monumentale est perceptible depuis très loin sur l'avenue (cliché 1) et est cadrée par l'alignement du bâti, ce qui renforce la focalisation du regard vers le point de fuite, produisant un effet esthétique très en vogue aux époques baroque et néoclassique. Cet effet reste jusqu'à l'arrivée sur la place (cliché 4) où finalement le champ visuel s’élargit et le regard peut embrasser une bonne partie du front bâti délimitant la place.

La rue Bonaparte - La rue Bonaparte n'est pas perpendiculaire à la place, elle arrive de biais. Ainsi, au loin dans la rue le fond de la perspective est un bâtiment qui créer un étranglement et cache une partie de la place (cliché 1). Mais très vite (cliché 2), l'on découvre des éléments de la place (arbre) pour arriver au seuil de la place (cliché 4), découvrir ses vastes dimensions (cliché 5) et être dans l'axe du bâtiment du Musée d'Art Moderne qui créer une impression de fermeture, tout en soulignant la profondeur de la place.

La rue Cassini – Provenant du port, la rue Cassini est aussi de biais par rapport à la place. À la différence de la rue Bonaparte, ses bâtiments ont été strictement alignés pour dégager la connexion visuelle entre la place royale et le port. Dans l'axe de la perspective bien délimité de la rue Cassini, se trouve ainsi un des grands arbres de la place (cliché 2). Puis, l'espace de la place se dévoile avec sur la droite des terrasses de café qui incitent à la détente (cliché 4) pour découvrir quelque pas plus loin la vaste étendue de la place, où les grands arbres encadrent, sur le fond, le bâtiment du Musée d'Art Moderne (cliché 5), de façon semblable à l’arrivée par la rue Bonaparte (les deux axes se fondent à l’approche de la place).

La rue Catherine Ségurane – La séquence d’accès à la place depuis la rue Ségurane est caractérisée par une forte asymétrie dans la composition de ses plans. Les architectures de la place sont perçues de mieux en mieux en procédant le long d’un couloir délimité à droite par un front bâti parfaitement aligné et à gauche par des éléments végétaux (arbres),  annonçant la colline du château de Nice. Cette asymétrie détourne de temps en temps le regard de la focalisation sur la place en bout de perspective. Une fois sur le seuil de la place (clichés 4 et 5), cette dernière s’offre à l’observateur par une belle arrivée de biais, valorisant d’autant plus le développement des fronts bâtis qui la délimitent.

Le boulevard Jean Jaurès - Le boulevard Jean Jaurès est une voie d'accès importante à la place de part les modes de circulation qu'il accueille (tramway, automobile, piéton). La géométrie sinueuse du boulevard (qui longe les anciennes berges du Paillon) fait que cette séquence d’accès à la place se compose d’une série de plans dont chacun offre une perspective sur un élément différent. Les plans changent une fois l'élément principal dépassé (clichés 2 et 4) pour attirer le regard sur un nouvel élément. Cette succession donne un rythme d'approche dans le parcours amenant à la place. Les derniers plans (clichés 6 et 7) marquent l’arrivée de biais sur la place avec une perception de l’ensemble des architectures qui la bordent (à l’exception de la façade sud avec la chapelle du Saint Sépulcre) et une forte sensation d’être rentrées dans un environnement architectural en rupture avec les éléments précédemment observés. Il faut également remarquer que le piéton peut arriver sur le boulevard en provenance des ruelles du vieux Nice, combinant des plans très pittoresques perçus dans les ruelles avec un premier élargissement du champs visuel à l’arrivée sur le boulevard et en second à l’entrée dans la place.

Globalement, la place Garibaldi peut bénéficier d’un grand nombre de séquences d’approches très valorisantes qui, avec leurs spécificités, constituent toujours des appels à la découverte de la place. La séquence la plus valorisante est surement celle en provenance de l’avenue de la République, conçue dès la composition originale de la place dans le registre du solennel et du monumental.

 

2. L’application de la grille d’analyse de K. Lynch

La place Garibaldi est perçue avant tout en tant que place-noyau à la forme simple, clairement délimitée par le front bâti architecturalement homogène qui l’entoure sur les quatre côtés et concentrant des activités et des ambiances urbaines pour l’ensemble du secteur oriental de la ville de Nice. À cette forte imagibilité de place-noyau contribuent également d’autres éléments du paysage urbain. D’abord plusieurs points de repère sont clairement identifiés : la façade de la chapelle du Saint Sépulcre (surtout quand l’on observe la place en provenance du nord, de l’est ou de l’ouest), ensuite le monument à Joseph Garibaldi et sa fontaine (perceptibles qu’elle que soit l’approche à la place), le bâtiment du Musée d’Art Moderne et Contemporaine (perceptible en arrivant de l’est) et, secondairement, la colline du château de Nice (visible depuis la rue Ségurane).

Les différentes voies offrent des points de vue privilégiés pour l'usager. Les voies du tramway qui traversent la place de l'avenue de la République au boulevard Jean Jaurès amènent du mouvement sur la place (Figure 5.11). Il en est de même pour les voies de circulation automobile ; elles amènent du mouvement mais peuvent également constituer une gêne sonore, notamment la voie centrale traversant la place d’est en ouest. Surtout, la place Garibaldi est caractérisée par le promenoir couvert sous les arcades, visible depuis l’espace central et depuis lequel l’usager entrevoit toujours le reste de l’espace public (Figure 5.12). La perception de la place depuis les arcades marque profondément l’imagibilité de cet espace.

   

Figure 5.11 :

Les voies du tramway, éléments marquants du paysage de la place Garibaldi.

 

 

   

Figure 5.12 :

La perception de l’espace public de la place depuis ses arcades

 

 

La convergence d’autant de voies permet également de qualifier la place Garibaldi en tant que nœud dans l’espace urbain niçois. Plus précisément, à un premier nœud localisable vaguement dans le centre géométrique de la place, se rajoute un second nœud, sur l’avenue de la République, correspondant à l’arrêt du tramway niçois. Cette perception de la place en tant que lieu de convergence de voies de nature différente (piéton, tramway, automobile) et qui risquerait de la réduire à une simple place-carrefour, est néanmoins contrebalancée par son image de point de concentration, un centre qui est un symbole de tout un secteur urbain (et potentiellement d’une ville entière). D'ailleurs, la place joue son rôle de centralité perçue pour plusieurs quartiers. Lorsque l'on rejoint la place depuis le nord ou l’est, on perçoit clairement l’identité des quartiers développés entre les siècles XVIII et XIX autour du port et de l’avenue de la République. Au sud, la vieille ville de Nice est perçue comme une entité à part, interfacé aux développements plus modernes précisément par la place Garibaldi. L’existence de quartiers différents à l’ouest est moins perceptible, le bâtiment du musée faisant écran au paysage urbain de la rive droite du Paillon.

L’organisation d’ensemble des éléments contribuant à la perception de cette place à forte imagibilité est résumée dans le schéma suivant (Figure 5.13). Les seuls bémols à apporter à cette perception particulièrement positive de la place sont les effets de coupure induits par les voies qui la traversent. Plus encore que les voies du tramway et celle permettant la traversée automobile d’est en ouest, c’est la voie qui longe la façade sud de la place qui semble produire la coupure visuelle et fonctionnelle la plus gênante pour la place, d’autant plus qu’elle s’accompagne de la pratique relativement généralisée du stationnement interdit.

   

Figure 5.13 :

Schéma de composition du paysage urbain de la place Garibaldi

 

 

3. La perception des usagers

 

Pour obtenir quelques éléments sur la perception de la place de la part de ses usagers, nous avons utilisé un questionnaire (pour la présentation du questionnaire voir l’essentiel méthodologique, pour celle de l’échantillon, voir l’analyse des fonctions, des usages et des appropriations de la place Garibaldi). Les réponses au questionnaire et les discussions avec les usagers de la place ont permis de mettre en exergue l’importance des transformations récentes du paysage de la place Garibaldi, suite à l’arrivée du tramway niçois. Les réponses collectées nous permettent de conclure à une perception très positive de ce réaménagement qui a libéré de l'espace pour les piétons, requalifié l’espace public et le mobilier urbain, et remis au premier plan la valeur patrimoniale de la place.

   

Figure 5.14 :

Qu'est ce qui selon vous caractérise cette place, lui donne une ambiance particulière ?

 

 

Les usagers rencontrés parlent beaucoup du plaisir qu'ils ont à être dans sur une place avec ce style d'architecture. Certains nous ont affirmé que cela leur rappelait les paysages des villes italiennes (la place Garibaldi a été conçue effectivement d’après le modèle des grandes places turinoises). C'est essentiellement l'ambiance qui règne depuis les nouveaux aménagements que les usagers apprécient. Cette ambiance se caractérise par l'aspect pratique des lieux (mobiliers, accès), les terrasses (il y en avait pas avant) et l'ensemble des personnes qui vont et viennent ou sont à l'arrêt sur les bancs et autour de la fontaine. Pour certains, les aménagements récents de la place amènent une certaine modernité, oubliant un peu les éléments historiques pourtant bien présents sur la place. Presque toutes les personnes interviewées ont affirmé que la place Garibaldi constitue un élément très important pour la ville de Nice, signe d’une prise de conscience du nouveau rôle de la place par les autorités locales (les investissements pour son réaménagement le témoignent) mais également de la nouvelle valorisation que les usagers font subjectivement de leur place.

   

Figure 5.15 :

Carte mentale de la place Garibaldi (produite par une femme de 30 ans).

 

 

Pour avoir une vision plus complète de la perception de la place de la part des usagers, nous avons demandé à une femme de 30 ans de nous esquisser ce qu'elle retenait de la place Garibaldi après l'avoir physiquement quittée.

 

Les éléments qui ressortent au premier plan de cette carte mentale sont la fontaine avec la statue de Garibaldi, le passage du tramway et la voie centrale pour la circulation automobile. Il s’agit d’éléments que nous avions déjà identifiés comme étant structurant dans la section précédente. On remarque en revanche l'absence de la chapelle sur le croquis, l’élément architectural ne contribuant pas à une ambiance forte liée à la fonction religieuse. Une confusion apparait quant à la géométrie des rues (il n'y a pas de rues perpendiculaires à la voie centrale) et surtout à celle de la place (qui n’est pas perçue comme étant rectangulaire). Les arcades sont un élément important dans cette carte mentale, participant à l'organisation de la place et finalement à son imagibilité. Enfin, l'usager perçoit l'activité commerciale orienté vers les terrasses des cafés. Cette perception est à mettre en relation avec la pratique de la place, l’auteure de la carte mentale nous ayant confié venir sur la place uniquement en soirée.

 

Il est bien évidemment possible d’obtenir des cartes mentales fort différentes d’autres usagers de la place Garibaldi. La multiplicité des perceptions de la place se retrouve aussi lorsque l'on interroge la population qui fréquente la place sur le caractère ordonné (éléments d'architecture symétriques, agencement selon un plan net et parfaitement visible dans l'espace) ou désordonnée (pas de symétrie dans les voies, impression de confusion) de la place. Les sondés ont la perception d'une place ordonnée par l'impression que donne l'alignement des façades mais aussi désordonnée dans l'aménagement qui en a été fait (position de la statue, des bancs...). Le mot désordonné n'est pas forcément péjoratif, il participe à l'esthétique de la place. La légère prévalence de l’impression de désordre s'explique peut-être par la nouveauté des aménagements, qui ont été terminés moins d'un an avant la réalisation du questionnaire.

Enfin, les usagers sont partagés entre la perception d’une place aménagée ou naturelle. Effectivement la place vient d'être aménagée avec une couverture minérale après une concertation publique. Pour les usagers ayant suivi le débat et les travaux, la réponse « aménagée » s'impose d'elle même. Mais d'autres personnes trouvent la place naturelle, faisant ici référence à l'aspect minéral du sol (la place était goudronnée avant) et à la présence de végétation (les grands arbres, les nouvelles plantations, l’aperçu de verdure plus loin dans la rue Ségurane).

D’après les enregistrements audio des quelques entretiens d’usagers, les personnes ont toutes évoqué une perception différente entre avant et après les aménagements « aujourd’hui c’est mieux, on peut s’assoir, c’est tranquille » (Entretien 1). En effet, toutes les personnes interviewées apprécient la place et associent leur perception à des éléments matériels « les façades sont belles, tous ces chemins, les bons restaurants, les plantations » (Entretien 3), « l’ombre des arbres, les lumières du soir » (Entretien 7). Certaines personnes ont toutefois évoqué les perceptions sociales des lieux par le plaisir « de voir les va-et-vient » (Entretien 6). À noter que, parmi toutes les personnes interviewées, nous n’avons pu identifier aucune perception négative de la place.

Bien évidemment les différentes perceptions de la place Garibaldi sont la résultante d’interactions complexes entre les éléments de sa composition, les relations avec son contexte urbain, les ambiances produites par ses fonctionnements et les pratiques et les appropriations de ses usagers. Nous essayerons de donner une vision d’ensemble de ces interactions dans le cadre du prochain module d’analyse.

 

4. Image urbanistique, image anthropologique, image de marketing

Le dernier exercice effectué sur la perception de la place Garibaldi a été celui de répondre par l’outil de la représentation photographique à trois commandes différentes : une description urbanistique de la place se voulant objective et détachée, une description anthropologique de la place en tant qu’espace de vie et une image finalisée au marketing territorial de la place. Parmi les différentes représentations proposées par les étudiants de la promotion 2010-2011 du Master IMST de l’Université de Nice, nous avons retenus les images suivantes.

   

Figure 5.16 :

La vision de l’urbaniste – Une place réaménagée suite à l’arrivée du tramway

 

 

L’image de l’urbaniste souligne la réussite des travaux de réaménagement de la place suite à l’arrivée du tramway niçois. Le vue est plongeante, permettant de mieux apprécier le revêtement de la place (le goudron a été substitué par la pierre), l’organisation d’ensemble de l’espace public (le vastes surfaces dédiées au piéton et l’équilibre retrouvé avec les voies de transport, notamment du tramway et de l’automobile) ainsi que les spécificités de la composition de la place (l’homogénéité des façades XVIII, interrompue seulement par le fronton de la chapelle du Saint Sépulcre, la monument à Garibaldi, les grand chênes verts). Une lecture plus attentive de cette photographie permet également de saisir la presque totalité des éléments du paysage de la place (le croisement des voies, les points de repère, y compris la colline du château, etc.) ainsi que sa situation urbanistique (à l’interface avec le quartier de la vieille ville).

    Figure 5.17 :

La vision de l’anthropologue – Un apéritif entre amis sur la place Garibaldi

 

 

L’analyse des comportements sociaux des usagers de la place s’attarde ici sur la fréquentation des terrasses en fin d’après-midi. La consommation de boissons (souvent alcoolisées, comme le verre de bière au premier plan) sur les terrasses des brasseries, dans le cadre d’un apéritif, est une pratique courante dans les villes méditerranéennes et ne concerne pas uniquement les touristes de la vieille ville ou du bord de mer. Actifs, étudiants et retraités se donnent rendez-vous pour passer un moment convivial sur l’espace public. Il s’agit d’un aspect important des pratiques de sociabilité des espaces publics des villes méditerranéennes, renforçant par ailleurs l’appropriation affective des espaces publics (la place est ici une extension en plein air des lieux de vie et de travail). La place Garibaldi catalyse ce type d’interaction sociale pour les populations riveraines des quartiers sud-est de la ville de Nice (port, avenue de la République) ainsi que pour les autres usagers de la place (employés, chalands, touristes).

   

Figure 5.18 :

Le marketing – La dolce vita de la Place Garibaldi

 

 

Cette image a pour objectif le marketing touristique de la place Garibaldi. Plus que son cadre architectural et patrimonial (à peine discernable sur la photographie), l’image met en scène la convivialité des terrasses en plein air de la place, déjà observée par le regard plus analytique de l’anthropologue. Ici le farniente sur les terrasses est un argument de promotion de la fréquentation de la place, avec un clin d’œil aux ambiances italiennes de la place Garibaldi (les terrasses ensoleillées, l’architecture des bâtiments, les arcades, le rétroviseur de la vespa, … tous ingrédients censés contribuer à la dolce vita de la place). L’écriture en anglais sur le rétroviseur, rajoute une touche cosmopolite à l’image touristique de la place. Le récents réaménagements de la place Garibaldi suite à l’arrivée du tramway et la proximité au port et à la vieille ville ont en effet permis une certaine mise en tourisme de la place, ce qui est relativement nouveau dans l’histoire de l’ancienne place royale.